jeudi 9 juin 2016

La neige

Depuis deux jours la neige tombait serré sur la ville. Il ne connaissait pas la neige, il ne l’avait jamais vue auparavant, et il ne se lassait pas de la regarder derrière la fenêtre grillagée. Il aurait voulu pouvoir sortir, en saisir de pleines poignées, la manger même, pour en goûter la saveur. Il ne parvenait pas à imaginer le goût de la neige.
Il se retourna. Il était le seul à être captivé par le spectacle de l’extérieur.  Les deux autres roupillaient sur leur bat-flanc, le visage tourné vers le mur. Il les contempla un moment comme des statues puis reprit son poste de vigie. 

Chaque flocon représentait un morceau de son être— il se voyait partir en morceaux légers, s’accumuler sur le sol glacé, s’accumuler encore et encore, former des masses molles et douces dans le chemin caillouteux qui menait à la bâtisse dans laquelle il était cloitré pour des années sans doute. Il avait parcouru des routes pluvieuses, des chemins poussiéreux ; il avait arpenté des champs noirs de soleil, et traversé des ruisseaux plus fragiles qu’un cheveu— il s’était collé à des arbres pour échapper à la surveillance des molosses, il avait fui dans des sous-bois épineux, il avait fait tout cela avec le secret espoir de voir la neige. Il ne pouvait pas encore la toucher, mais la voir doucement glisser vers le sol en rideau paisible lui procurait une insondable tranquillité que rien n’entamerait jamais.

2 commentaires:

  1. Il est des rêves qui font tenir debout, qui permettent de l'oppression du lieu, de l’instant. La poésie est une petite lueur d'espoir au fond du trou. Cela ce texte le dit bien...
    Là où est cet homme, mieux vaut un manteau de neige qu'un ciel rayé d'éclairs !!!

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